Un Domino noir fabuleusement coloré à l’Opéra comique
Du couvent au bal masqué
Saviez-vous que ce « Domino noir », créé en 1837, triompha à l’Opéra Comique des centaines de fois, et que cet alliage de fausse bigoterie dans une Espagne de pacotille et de vraie coquinerie à la française, où l’on se moque autant du mariage que de l’Eglise, fit les belles soirées des boulevards parisiens ? Pour reprendre ce vaudeville musical en lui redonnant toute sa saveur sans l’alourdir, il fallait bien l’immense talent du duo Christian Hecq, sociétaire à la Comédie française et acteur comique génial, et Valérie Lesort, scénographe plasticienne couronnée de prix, déjà auteurs du formidable « Vingt Mille lieues sous les mers » de Jules Verne qui remporta le Prix de la Critique. Le résultat est inventif et joyeux, et se dote d’une équipe musicale de grand talent.
Un univers à la Lewis Carroll
Au centre, une énorme horloge au cadran transparent indique le temps qui coure, avance ou recule (décor de Laurent Peruzzi) et permet aux chanteurs-acteurs d’évoluer dans un double espace temps pour figurer l’action de cette folle intrigue, au bal ou dans l’anti-chambre, à la manière d’Alice au pays des merveilles. Angèle de Olivarès, campée par la formidable Anne-Catherine Gillet, soprano délicieuse à la voix flutée qui a l’abattage, la sensualité d’une vraie comédienne, vient de prononcer ses voeux pour rentrer au couvent. Pourtant, c’est sous une longue capeline à capuche noire, le fameux « domino », que la belle se dissimule pour aller au bal et faire fondre les yeux du jeune Horace, incarné par le sémillant ténor Cyrille Dubois, qui transfigure avec une sincérité et une justesse, une chaleur vocale épatante ce personnage à priori un peu falot. L’amie d’Angèle, Brigitte, dont Antoinette Dennefeld fait une sacrée complice pleine d’énergie et de malice, n’aura qu’à bien garder le secret.
Plumes, marionnettes et statues vivantes
Passée cette introduction, d’où jaillissent des personnages qui parlent et chantent, ce qui exige des chanteurs une agilité et une plasticité vocale et physique particulière, s’enchaînent des péripéties carnavalesques, dont les metteurs en scènes et les chanteurs se saisissent avec une gourmandise avouée, pour notre plus grand plaisir. Et il faut avouer que le chef Patrick Davin, assisté magnifiquement par Christophe Grapperon pour les choeurs, assume la partition musicale en dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Radio France avec un doigté particulier, se saisissant des nuances symphoniques, des multiples influences harmoniques avec légèreté et brio, dans le respect de l’opéra comique français. Glyslein Lefever compose la chorégraphie amusante avec des danseurs qui sont aussi marionnettistes, Vanessa Sannino a dessiné des costumes hallucinants de fantaisie, surmontés de plumes d’oiseaux. Marie Lenormand (Jacinthe), Laurent Kubla (Gil Perez), Laurent Montel (Lord Elfort), François Rougier (Juliano) et la comédienne chanteuse Sylvie Bergé (terrible Ursule) participent de cette fantastique entreprise artistique où chanteurs, musiciens, danseurs et artisans de la scène sont unis, pour notre immense bonheur.
Hélène Kuttner
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